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Logiques de fonctionnement des cycles

Le choix et l'arrangement des scènes de miracles sont déterminés par un ensemble d'éléments qui, combinés les uns aux autres, contribuent à donner à ces cycles leur riche signification. Adaptation aux contraintes spatiales de l'édifice ou mise à profit de l'espace disponible pour développer un cycle détaillé, mise en place d'une narration, prise en compte des textes par les iconographes, inscription des scènes de miracles dans l'ensemble du décor… sont autant d'éléments à mobiliser pour comprendre l'organisation des cycles.

Le rapport aux sources

La Rencontre avec la Samaritaine de la basilique Saint-Marc se présente encore différemment. Cette fois la scène est séparée en deux moments, situes côte à côte dans la voûte est du transept sud. Cette expansion de la scène est peu fréquente. Contrairement à Pskov et Monreale, on voit ici le groupe des Samaritains a qui la parole du Christ est rapportée à la suite de la rencontre. Deux inscriptions sont visibles dans cette voute: "DAT POTUM SANE FONS VIVUS SAMARITANE", légende de la scène, et "VENITE VIDETE HOEM QUI MI DIXIT OMIA QUE FECIT". Cette seconde inscription reprend les paroles que la Samaritaine adresse à ses pairs, citant Jean 4 : 29 ; cependant son authenticité est peu probable104. Ici, le motif de l'eau vive est place au centre de l'image, tant par la première inscription qu'a travers la représentation du puits ; l'ouverture quadrilobée de la margelle laisse en effet apercevoir la surface de l'eau rendue par des vaguelettes. A la place de la manivelle qui surmonte le puits a Monreale, un arbre se dresse, peut-être pour faire écho a la scène de la Vocation de Zachée à laquelle la Samaritaine fait face. L'eau vive, symbole d'espérance eschatologique, doit également être lue en rapport avec une autre nourriture spirituelle distribuée par le Christ, à savoir le pain et le poisson qui apparaissent dans la même voute dans la Multiplication des pains et des poissons. Dans les deux cas, la présence de la foule rappelle l'importance de la diffusion de la parole christique. L'opposition entre besoins du corps et préoccupations spirituelles est un motif qui se retrouve dans les deux scènes, et qui introduit de manière particulièrement explicite le sujet de la double nature du Christ, ce qu'illustre cette phrase d'Augustin a propos de la Multiplication des pains: "Celui qui endurait la faim parce qu'il était homme, nourrit cinq mille hommes avec cinq pains parce qu'il était Dieu." Ainsi différents niveaux de textualité se construisent a l'intérieur d'une seule image : l'iconographie adapte le texte évangélique, sélectionnant certains motifs dont la lecture des interprétations patristiques permet d'expliciter la signification. Ces références expliquent en outre la relation physique des scènes qui sont juxtaposées sans référence apparente a la suite chronologique des miracles telle qu'on la retrouve dans les Evangiles. L'iconographe revêt des lors une fonction d'exégète, en choisissant de promouvoir une signification spécifique qu'il retranscrit dans la disposition des scènes et la mise en avant d'éléments porteurs de sens.

Image et narration

La scène de la multiplication des pains, représentée à Monreale à l’angle des parois sud et ouest, témoigne de la manière dont la temporalité de l’image s’élabore. Les détails de la composition introduisent le mouvement, et refusent la frontalité. Le disciple qui tend le pain au Christ pour qu'il le bénisse est déjà en train de s'avancer vers la foule assise du côté droit, ce dont témoigne la torsion de son corps : si le haut de son buste est encore tourne vers Jésus, ses jambes avancent déjà vers la droite à grandes enjambées. Ce mouvement conduit le regard du spectateur d'une paroi a l'autre, exploitant les contraintes de l'architecture pour faire progresser la narration. La foule, assise au pied d'une colline dont la forme ovale l'encadre, est constituée d'individus que tout, costume, position, gestuelle, coiffure, regards… distingue les uns des autres. Devant eux, les deux autres Apôtres, comme à Venise, procèdent à la distribution des pains et à la collecte des restes, mais de manière beaucoup moins statique. Ils semblent affairés, comme le montrent leurs gestes dont le dynamisme est traduit par les ruptures de format introduites par les mouvements de leurs corps et des drapés de leurs vêtements ; en occupant des registres différents de la scène et en n'étant pas tournés dans la même direction, ces deux personnages renforcent le sentiment d'animation de l'image. La colline introduit en outre une différenciation spatiale entre les différentes parties de la composition, brisant son unité pour mieux séparer les trois unités de la scène – au tout premier plan l'Apôtre occupe à ranger les paniers, dans un espace intermédiaire le second disciple, et enfin la foule. Chaque élément de l'image contribue ainsi à créer un rythme qui participe à la progression de la narration.

Espace et composition

A Miroz la répartition dans l'espace des différentes scènes permet des rapprochements formels ; ce ne sont pas uniquement les épisodes de miracles pris isolément qui sont concernés : c'est avec d'autres scènes du décor que la mise en rapport peut se constater. Il est difficile de trouver une signification liturgique ou symbolique à l'arrangement des scènes, c’est plutôt dans les relations qui s'établissent entre les images à travers leur composition que le choix des épisodes peut trouver son origine : des échos formels existent tant d'une image à l'autre a l'intérieur du cycle des miracles qu'entre les miracles et certaines autres scènes des fresques pariétales. Ainsi les deux groupes de trois scènes qui occupent le mur ouest des bras nord et sud du transept fonctionnent de manière symétrique. A chaque extrémité de l'ensemble, qui se déploie en frise continue, une figure de saint stylite ponctue ce groupe de scènes qui, d'un transept a l'autre, constitue un tout ininterrompu visible d'un seul regard, sur un axe horizontal. Du côté gauche de chaque paroi, l'on observe un personnage alité, au sud la belle-mère de Pierre et au nord la fille de Jaïre ; toutes deux ont exactement la même position assise, et dans les deux scènes le Christ tient la main de la personne qu'il guérit, avec une légère inclinaison du buste que l'on ne voit que dans ces deux images. Au milieu, les deux parois montrent le Christ guérissant au sud l'aveugle-né et au nord deux démoniaques. Afin de pallier le déséquilibre qui naitrait de ce nombre inégal de personnages, la guérison de l'aveugle est représentée en deux parties : à la droite de la scène, l'on peut voir l'aveugle guéri en train de s'éloigner, les yeux ouverts et dépourvu de la canne sur laquelle il s'appuyait dans la première partie de l'épisode. Enfin sur la droite, la guérison du paralytique (au sud) fait pendant a la guérison d'un homme dont l'affliction est difficilement identifiable. Le même parallélisme dans les compositions se retrouve, avec dans les deux cas le Christ faisant face à un personnage seul ; cependant des variantes importantes, telles que le lit que porte sur son dos le paralytique guéri, font que la ressemblance n'est pas portée au même degré que celle des guérisons de la belle-mère de Pierre et de la fille de Jaïre.

Des échos similaires peuvent être établis entre des scènes de miracles et d'autres éléments du décor, cette fois avec un sens de lecture vertical. Sur le mur sud du transept, la Tempête apaisée est ainsi placée immédiatement au-dessous de la Pêche miraculeuse, épisode survenant après la résurrection du Christ. Sur la même paroi, à droite, la guérison des dix lépreux se situe sous la scène montrant le Christ distribuant aux Apôtres le poisson pêché lors de l'épisode précédent. Dans les deux registres, il est aisé d'établir des correspondances dans la composition des images. Le bateau des deux scènes nautiques paraît identique, si ce n'est que l'échelle est réduite dans le registre inférieur qui contient deux scènes (lacunaires) de plus que celui du haut. La composition de la guérison des dix lépreux reprend, mais de manière inversée, celle du Christ distribuant le poisson aux Apôtres, avec le Christ faisant face à un groupe de personnages.